Je ne sais pas si, comme moi, vous souffrez de plus en plus de la qualité du français que l'on peut lire sur Internet. C'est quelque chose d'effrayant. Effrayantissime, même. Je n'ai pas l'impression d'en faire une croisade personnelle contrairement
à certains qui ont assez d'humour pour sonner des cloches et nous faire rire. Mais il est vrai qu'il m'arrive de relever des fautes quand elles sont trop évidentes sur des forums, par exemple.
Est-ce parce que j'ai réussi l'exploit en 5ème d'avoir une moyenne de 21/20 en dictée grâce à des bonus (vous savez, la phrase en plus à la fin de la dictée qui rapporte un point si on l'écrit correctement) ? Est-ce parce que mon ascendant direct est un normalien d'Ulm agrégé de grammaire et de linguistique française (option lettres classiques) ? Est-ce parce que j'ai 3 professeurs de l'Éducation Nationale dans ma cellule familiale (une femme, une mère et une soeur) ? Parce que j'ai connu l'école primaire bretonne conservatrice dans laquelle le maître nous donnait de violentes claques quand on disait des conneries ? Parce que mes parents commençaient par m'en donner une autre si jamais je le leur racontais ?
L'ensemble de tous ces éléments peut-être ? Bon, peut-être. Mais je n'ai pas le souvenir d'un tel délabrement partagé par mes pairs de collège, à l'époque. Je suis bien placé pour savoir que l'orthographe et la grammaire peuvent se dégrader très vite si l'on ne les entretient pas. Quelques années de prises de notes à l'université ont eu raison de mon orthographe parfaite. Il fut un temps où mes relectures n'avaient pour but que d'affiner mes raisonnements, de lisser mon expression. Maintenant, elle comportent à ma grande honte une dimension orthographique. Et encore, les lecteurs assidus de ce carnet savent que certaines m'échappent encore. Mais il y a des limites.
Et je ne parle pas des subtilités de la langue française qui échappent à la majorité, comme la locution "après que" qui devrait être suivie de l'indicatif (on devrait dire "après que je suis parti"), l'utilisation du terme "ceci dit" alors que c'est une contradiction ("ceci" annonce, on ne peut annoncer quelque chose qu'on a déjà dit, il faut dire "cela dit"), ces gens qui héritent de quelque chose au lieu de quelqu'un (on hérite un tableau d'une arrière grand-mère, le tableau ne transmet rien, lui), la confusion entre les verbes se rappeler, transitif direct, et se souvenir, transitif indirect (on se rappelle son anniversaire de mariage, on se souvient de la finale de la coupe du monde de rugby), etc.
Je suis un adepte du barbarisme, du néologisme et de la paronomase implicite et j'apprécie leur utilisation toujours subtile, à condition que ce soit recherché. C'est une sorte de jeu intellectuel entre celui qui écrit et le lecteur. Mon maître et mon guide : Raymond Queneau. Si vous avez lu
Les fleurs bleues, vous savez ce qui me fait pleurer de rire.
Je suis abasourdi par la déliquescence orthographique ambiante. Un étudiant Bac+5 n'est plus pénalisé par une orthographe défaillante, fut-il ingénieur. Bon, ça dépend,
il y a des limites à ne pas dépasser. On met en cause l'écriture par texto, le manque de lecture et d'autres maux qui, comme par hasard, ne sont du fait de personne en particulier. C'est l'évolution que veut l'époque, que voulez-vous. On préfère semble-t-il regarder la télé ou aller sur Internet plutôt que de lire.
Un nouveau pas est sur le point d'être franchi : la télévision qui a pour "cible" les 6 mois à 3 ans. J'ai du mal à croire que ce genre de truc passe toutes les étapes d'autorisation nécessaires jusqu'à la diffusion effective. Et ce malgré les alarmes tirées par les spécialistes de l'enfance, pour qui c'est un grave pas dans la lobotomisation de nos futures générations. C'est pas ça qui va favoriser l'amour pour la langue française.
La liberté d'entreprendre est terriblement importante, et ce n'est pas moi, qui vient de passer un an en Irlande à étudier le Business Management et la création-gestion d'entreprise qui dirais le contraire. S'il y a un créneau à prendre, un business à faire, il y a des chances que quelqu'un le découvre donc autant le faire soi-même. Mais il y a des limites, quelque part, et c'est bien en France que cette question devrait être prise en compte, avec notre culture cartésienne et notre État encore quelque peu interventionniste. Un peu d'éthique ne fait jamais de mal, et je ne vois pas trop qui d'autre que l'État peut encore le garantir. Dans certaines cultures modernes où tout est permis, force est de constater que... tout est permis, même le pire. Mais je n'ai pas obligatoirement un raisonnement synoptique, chacun peut y réfléchir (et c'est sans doute ce qui compte le plus). J'ai tout de même le sentiment qu'on a parfois besoin de cautions qui ont la capacité de recul qu'on ne peut pas avoir pour tout. Et ces cautions, qui d'autre que l'État peut en garantir le statut ?
Sans que ça en vienne à cette recommandation à peine croyable de l'Europe à l'attention des États membres : interdir la fessée. Les ex-soixanthuitards, dans vos étages à moquette profonde, il est temps de prendre votre retraite (à mes frais) au lieu de proposer de telles inepsies. Ah, ce serait beau si les enfants étaient des adultes qu'on pourraient traiter comme tels. Mais une bonne fessée vaut parfois mieux qu'un long discours, j'en suis la preuve bien vivante. J'ai appris plein de choses sans avoir besoin qu'on me fasse un dessin. À trois ans, énervé, j'ai osé traiter mon Papa de "con", mais je ne l'ai jamais refait. Et je me rappelle très bien pourquoi, je vous assure.
En France, on est censé être encore apte à réfléchir pragmatiquement, à s'opposer par exemple à une guerre en Irak quand on estime qu'elle est mal fondée et que ses conséquences seront bien plus graves que ce que l'on veut bien essayer de nous faire croire. Et ce genre de prise de position est confirmé dans sa justesse quand, quelques mois ou années après, les médias étrangers qui ont pris position se rendent compte qu'en effet, tout n'était pas exactement noir ou blanc.
Et ne venez pas me dire que tel chef d'État était de toute façon un dictateur, il est donc mieux pour "le monde" qu'il soit mort. C'est pas comme ça que ça marche, la géopolitique. Les ramifications des conséquences d'une telle décision vont très loin et sont trop nombreuses pour se réduire à cette argumentation simpliste, donc néfaste. Qui est satisfait de la poussée islamiste créée par le vide en Irak, franchement ?
C'est peut-être ça, les défauts du nouveau monde de la communication. De grands et nouveaux courants de pensée semblent se former et il paraît juste de leur attacher l'importance de leur couverture. Mais ça aussi, c'est simpliste comme raisonnement. Avec quelques fonds et éventuellement l'appui de personalités politiques assez stupides pour se laisser prendre, n'importe qui peut créer un nouveau courant de pensée qui imposera une idée qui aurait aujourd'hui pour étiquette d'être gravement abbérante, c'est devenu très facile quand on connait un tant soit peu les mécanismes d'Internet. "Oui, ma bonne dame, il est bien gentil, et puis de plus en plus de monde en parle et se pose des questions, donc c'est bien une preuve que quelque chose s'est levé qui ne s'arrêtera pas". Un peu, aussi, comme ceux qui votent pour la Lutte Révolutionnaire parce qu'il a une bonne tête, le facteur. "Mais non, il n'instaurera pas vraiment un régime trotskyste, voyons, et puis il ne sera jamais élu ! Mais j'ai quand même voté pour lui..."
Un exemple. J'avais été assez choqué quand, en 4ème, j'avais appris que certaines écoles américaines avaient décidé de supprimer les cours de biologie et de les remplacer par une doctrine selon laquelle l'évolution de l'Humanité avait commencé par Adam et Eve. C'est absolument absurde de tenir de tels discours, mais c'est d'une force imparable : c'est simple à comprendre. Cette théorie, appelée "créationnisme", admet que l'Homme existe depuis toujours, et réfute l'évolution des espèces telles que les très nombreuses études et preuves le démontrent.
Il est intéressant de constater que ce discours, dont l'origine se trouve chez les fondamentalistes évangélistes et qui prend une véritable forme de propagande (un peu comme tout ce qui touche aux évangélistes il faut bien l'admettre, vous n'avez jamais été abordé par des pèlerins-missionaires qui cherchaient à vous faire découvrir le Christ ?), est relayé par des fondamentalistes, musulmans cette fois. De superbes livres ont été envoyés aux universités de plusieurs pays européens dont la France, qui tentent de démontrer que l'homme a vécu (et se baignait) avec les dinosaures, et que l'évolution des espèces est une conspiration occidentale qui réfute l'action de Dieu dans la création.
Ma culture française, catholique et séculaire m'a appris que l'Homme est libre, et que s'il fait des conneries, eh ben il n'a qu'à les assumer plutôt que de tout mettre sur le dos de Dieu : la volonté qui est derrière l'acte compte au moins autant que son résultat. Et cette notion est inscrite dans les lois de la République : on sanctionne l'auteur d'une tentative de meurtre mais pas le conducteur qui a causé un accident mortel dû à un problème mécanique de sa voiture, par exemple.
C'est pratique, cela dit, si on n'est pas vraiment responsable de ses actes, si on peut les justifier parce que c'est Dieu qui les a ordonné ou inspiré. Dieu comme origine et non comme manipulateur, ça me va très bien. Alors Dieu qui a fait Adam et Eve, c'est une jolie histoire(*), mais ça reste une une métaphore, une façon dont les civilisations primitives se transmettaient des éléments qu'ils ne comprenaient pas. Non mais franchement, un serpent qui parle, vous avez déjà vu ça ? Si ça a existé et que ça a disparu, c'est quand même une régression flagrante de l'espèce, non ? C'est quelque chose que l'humanité sait depuis des siècles et l'Église catholique a eu à traverser assez de crises pour arriver à l'accepter, il y a déjà un certain temps.
(*) C'est Dieu qui vient de créer Adam et qui se rend compte que celui-ci s'ennuie terriblement, tout seul. Après avoir cherché une solution, il va le voir et lui dit : "Écoute, Adam, si tu veux, je vais créer un être féminin qui sera ton double tout en étant ta moitié, qui aura une intelligence exceptionnelle, qui sera douce et pleine de tendresse et avec qui tu pourras passer ta vie dans le bonheur. Pour cela, il faudrait que tu me donnes un bras". Adam, intéressé, y réfléchit longuement, puis finalement répond à Dieu : "Écoute, Dieu, c'est d'accord, mais tu me ferais quoi pour une côte ?"Je me rappelle un soir où deux jeunes missionnaires ont frappé à la porte de ma collocation. Ils venaient du Nouveau Monde pour passer un an à convertir les Versaillais qui n'avaient pas encore vu la lumière, enfoncés qu'ils sont pour la plupart au fond de leur trou culturel d'un catholicisme tendance traditionnel. Un an aux frais de leur communauté soucieuse que la Vieille Europe s'éclaire. Ils ont eu du mal à répondre à certaines de mes questions et j'ai trouvé leur argumentation très faiblarde. En gros, ils essayaient de nous vendre qu'un type avait trouvé, dans les proches environs de 1900, des tablettes gravées et enterrées là à l'époque de Jésus, alors qu'il creusait dans le fond de son jardin. Ce qui leur donnaient une légitimité bien plus importante que les textes de la Bible puisqu'ils avaient été traduits qu'une seule fois, donc moins susceptibles d'avoir subi des erreurs de traduction.
- Ah tiens, c'est intéressant... comme ça vous avez la preuve que le Nouveau Monde était déjà connu à cette époque, c'est chouette... En revanche, vous pouvez m'expliquer comment un type de cette époque a pu écrire en anglais moderne ?
- C'est ça, le mystèwe ! C'est ce qui m'a poussé à me convewtiwe, à wencontwer le Chwist ! Nous avons chez nous les écwits des pwophètes qui vivaient en Améwique il y a plus de 2.500 ans, as-tu la fowce de l'accepter, es-tu pwêt à avoiw la foi ? Mais ce que je veux diwe, c'est que que tu dois absolument compwendwe que tu dois te méfier des intewpwétations qui ont fowcément été falsifiées paw deux mille ans d'histoiwe, simplement pawce qu' que l'on peut faiwe diwe n'impowte quoi à des textes. C'est logique.
- Oui, je viens juste d'en prendre conscience, merci !
- Mais pouw les tablettes de Joseph Smith, on ne peut pas remettwe en cause les pweuves matéwielles. Ça, paw exemple, c'est un cwayon et tu ne pouwwas pas dire autwe chose. C'est comme ça.
- Mais si, je peux : c'est du bois et du graphite. Tu sais pas ce que c'est qu'un Jésuite, toi, hein ? Sinon, j'espère que vous aurez le temps de visiter Paris ?
Le prosélytisme, ça m'énerve. Parce que ça ressemble de très près à un manque d'éducation et de respect envers l'intelligence de son prochain. Faut du culot pour aller chez les gens leur expliquer que leur religion, qui n'existe que depuis 2000 ans, fait preuve de problèmes d'interprétation mais qu'heureusement, Superman est là avec son badge, son chapeau noir et son accent de l'Utah pour nous remettre dans le droit chemin, grâce aux illuminations d'un gourou qui faisait des trous dans son jardin il y a une centaine d'années. Remarquez que je ne les ai pas foutus dehors à grands coups de rangos dans l'awièwe twain et moi, ben je prends ça pour une preuve d'ouverture d'espwit de ma part. Mais les Mormons sont des enfants de choeur par rapport à d'autres.
Et je ne dirai pas ce que je pense du système fiscal américain qui permet de larges économies d'impôts quand on crée son "église". Non, ce n'est pas un élément qui pousse à créer son propre courant religieux. D'ailleurs on ne compte pas beaucoup plus de 500 "églises" là-bas.
Alors, le fondamentalisme est-il une étape nécessaire dans l'histoire d'une religion ? Est-ce encore acceptable à notre époque, et est-ce moins acceptable maintenant plutôt que dans les temps sombres du Moyen-Âge ? Pfff... de longues discussions et réflexions pourraient suivre ces trois questions...
Ça ressemble fort à de l'obscurantisme, cette histoire de créationnisme. Mais le pire, c'est que cette théorie trouve un écho dans nos sociétés européenne malgré notre bel héritage des Lumières, comme l'explique cet excellent dossier dans le dernier Science et Vie. Les théories de la conspiration, c'est intéressant, surtout quand elles poussent à réfléchir. C'est, finalement, une sorte de gage que l'on ne se fait pas endormir par des gens sans vergogne qui en ont le pouvoir. C'est aussi une garantie, finalement, que les gens ont les outils pour maintenir une forme de démocratie dans leur pays, puisqu'ils ont accès à ce genre de réflexion et ont le droit de les exposer. Parce que si l'on ne peut pas remettre en cause un pouvoir, on n'est tout simplement plus en démocratie. La liberté de la presse en est l'un des meilleurs exemples.
Mettre toutes les théories qui remettent en cause une forme de pouvoir quelle qu'elle soit dans un seul et même panier, c'est pas très intelligent, simplement parce qu'il y en a de plus tordues que d'autres et il s'est déjà avéré que certaines n'étaient pas si infondées que ça. Dans le cas de l'évolution, on peut remettre la théorie de Darwin à plat et tenter de la remettre en cause (c'est me semble-t-il un principe fondamental de la recherche), mais estimer qu'on ment à la population mondiale depuis plusieurs siècles en lui faisant croire que l'Homme n'est apparu il y a 10.000 ans seulement alors qu'il serait sur terre depuis des millions d'années... Pourquoi donc n'aurait-il su fonder des civilisations que depuis quelques milliers d'années seulement ?
Le problème pour moi se situe au niveau de l'école. Si l'on n'apprend plus à réfléchir quand on est à l'école, on ne sait pas réfléchir une fois sorti. Il n'est pas bon ton de dire que la formation des formateurs n'est pas toujours réaliste, qu'elle est souvent faite par de grands théoriciens qui n'ont pas mis les pieds dans une classe depuis des siècles. Quant aux programmes... Bon sang, nos parents, à leur époque, faisaient du Latin avant d'entrer en 6ème et il n'était pas question de faire des fautes d'orthographe à leur arrivée au collège. Et ça convenait à tout le monde. Ça veut dire que c'est possible, non ?
Ah, ma bonne dame, la télévision, Internet, les essemmesses...
Mais on n'est pas plus cons qu'eux, quand même !