L'échec des maths
L’équation semble simple, claire, fluide et limpide. Élégante, dirait le physicien. Ils sont anglophones de naissance, ils comprennent mal mon anglais, donc je parle mal anglais. Facile, en plus je suis français. Ô frustration amère. Pourtant pour moi cette équation relève du plus abject dévoiement sophiste du syllogisme, je parle du paralogisme, voire du "silly-logism" si vous me permettez cet angliciste néologisme. Un peu comme quand on dit "plus il y a de gruyère, plus il y a de trous, et plus il y a de trous moins il y a de gruyère, donc plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère". On sent, on sait que c’est irrationnel, impossible, que les fondement du raisonnement sont biaisés : c’est l’emmental qui a des trous, pas le gruyère.
Au bout de quelques mois en Irlande, les irlandais ne devinaient plus mes origines françaises. Oh, je ne dis pas qu’ils me prenaient pour un Irlandais, loin de là, mais j’avais réussi à enterrer mon accent assez profond. Dans cet article, "L'accent grâve", où je m’étais attaché à traduire de l’anglais irlandais, je crois me rappeler que l’une de mes conclusions était que l’anglais irlandais était sans doute plus à portée du français que l’anglais britannique. Ici, le "ômigôd" irlandais s’est transformé en "ômagad". Assez loin lui aussi du "Oh my god", n’est-il pas. "It deux pin’s" veut dire "ça dépend". Le "haggis" n’est plus l’estomac écossais de brebis farci aux intestins, poumons et autres entrailles, ça veut dire "Je devine, j’imagine". "Bid" n’est pas une offre mais un lit. Et un stylo se dit "pine".
Une Néo-Zélandaise avec qui je parlais famille m’a dit que la sienne se limitait à "two kids". – Leur âge ? – 3 ans, et 11 mois. Jusque là, pas de Révélations dignes de l’Apocalypse, sauf qu’à ma place vous auriez fait la même analyse que moi : cette charmante femme est tout de même très proche de la retraite pour avoir deux enfants de cet âge, les méfaits de la médecine auraient-ils encore frappé… J’ai dû faire une drôle de tête puisqu’elle m’a redit lentement qu’elle n’avait que "two kids". That's what she said. Elle parlait en vérité de ses deux chats, ce qui se dirait pourtant "two cats" en anglais véritable si je ne m’abuse. Heureusement que je n’ai pas eu le temps de prendre de nouvelles de leur père, ce sont deux bâtards qu’elle a récupéré sur le bord de l’autoroute. On aurait tous les deux pris l’autre pour un fou, ce qui ne facilite pas les relations de travail, et je sais de quoi je parle.
L’équipe avec laquelle je travaille est assez internationale : il y a deux australiens (ils disent quelque chose comme "ostrène", bless you, sans vraiment articuler quoi que ce soit), une kiwi, un maori (prononcer à peu près "moldi", ils roulent les "r"), un texan, un sud-africain, et de temps en temps un anglais. Celui que je comprends le mieux est, contre toute attente, le texan, qui est en fait, contre toute attente, quelqu’un de très cultivé, père de famille d’une quarantaine d’années, et une structure de vie avec laquelle je me sens, contre toute attente, la plus proche. Lui ne se limite pas à bouffer de la merde puis se lever à 5h du matin pour faire du djauguinne ou du fitenaisse comme c’est la loi en Australie chez les gens cultivés. Je vous ai déjà parlé de la différence entre un yaourt et un australien ?(*) Non, malgré les apparences, ça me fait très plaisir de dire du bien d’un américain, même s’il accumule les handicaps en venant en plus du Texas.
Le Kiwi, c’est l’équivalent du Frog (français), du Paddy (irlandais), du Wallaby (australien), du Springbock (sud-africain) ou du Rozbiffe (ben du rozbiffe, quoi), mais désigne le Néo-Zélandais bien sûr, quelle surprise. Pour ceux qui suivent donc, le Maori est une sous-famille du Kiwi, mais on fait quand même une différence, allez savoir pourquoi. Le politiquement correct a encore frappé avec sa discrimination positive. Enfin je dis ça, mais si vous voulez savoir ce que c’est véritablement que l’intégration des ethnies, venez en Nouvelle-Zélande, c’est impressionnant. Mais par quel miracle ??? Oh, à par du boulot pour tout le monde, je ne vois pas trop…
L’Australien bouffe ses mots comme sa Vegemite ("Proudly produced in Australia", je vois pas de quoi se vanter, vraiment) : un contact prolongé provoque maux de tête ou d’estomac. Quant à « l’anglais » parlé par les Maoris, il ne se comprend pas, il s’interprète. Je n’ai jamais été confronté à du québécois pur souche, sauf tout récemment grâce à cette excellente série que je ne saurais vous conseiller que trop vivement : Tête à claque. Décodeurs de 2ème et 3ème degrés indispensable. Bref, allez y faire un tour et vous comprendrez le sentiment que j’ai pu éprouver ici. Dans une phrase parfois un mot échappe. Dans un discours, parfois toute une phrase s’envole pour disparaître du radar de la compréhension. L’incompréhension est drôle à regarder si je prends les sourires de mes collègues comme indicateur, mais c’est quand même un poil compliqué quand il s’agit d’instructions de travail et puis je n’ai pas vocation à amuser la galerie, non mais.
Ah tiens, j’ai souvent une petite pensée pour mon beau frère quand je discute avec l’un des employés du client : il est Indien… Mais bon, on s’y fait, par courage féroce, volonté tenace... et parce qu’on n’a pas le choix. Je demande parfois à mes interlocuteurs de se répéter mais cette fois en anglais : sans être un expert de phonétique, on est super loin de la langue de Shakespeare. Je ne sais pas si on fait plus loin, d’ailleurs. On est à la frontière de l’espace ici.
Je ne peux décemment vous cacher qu’ils se demandent eux aussi des reformulations entre eux et moquent de leurs accents ou expressions respectifs.
Ben ça, moi, ça me fait doucement rigoler.
(*) Pour ceux qui débarquent ici, la différence est qu’au bout d’un moment, le yaourt a des chances de développer de la culture. C’est une blague.
Au bout de quelques mois en Irlande, les irlandais ne devinaient plus mes origines françaises. Oh, je ne dis pas qu’ils me prenaient pour un Irlandais, loin de là, mais j’avais réussi à enterrer mon accent assez profond. Dans cet article, "L'accent grâve", où je m’étais attaché à traduire de l’anglais irlandais, je crois me rappeler que l’une de mes conclusions était que l’anglais irlandais était sans doute plus à portée du français que l’anglais britannique. Ici, le "ômigôd" irlandais s’est transformé en "ômagad". Assez loin lui aussi du "Oh my god", n’est-il pas. "It deux pin’s" veut dire "ça dépend". Le "haggis" n’est plus l’estomac écossais de brebis farci aux intestins, poumons et autres entrailles, ça veut dire "Je devine, j’imagine". "Bid" n’est pas une offre mais un lit. Et un stylo se dit "pine".
Une Néo-Zélandaise avec qui je parlais famille m’a dit que la sienne se limitait à "two kids". – Leur âge ? – 3 ans, et 11 mois. Jusque là, pas de Révélations dignes de l’Apocalypse, sauf qu’à ma place vous auriez fait la même analyse que moi : cette charmante femme est tout de même très proche de la retraite pour avoir deux enfants de cet âge, les méfaits de la médecine auraient-ils encore frappé… J’ai dû faire une drôle de tête puisqu’elle m’a redit lentement qu’elle n’avait que "two kids". That's what she said. Elle parlait en vérité de ses deux chats, ce qui se dirait pourtant "two cats" en anglais véritable si je ne m’abuse. Heureusement que je n’ai pas eu le temps de prendre de nouvelles de leur père, ce sont deux bâtards qu’elle a récupéré sur le bord de l’autoroute. On aurait tous les deux pris l’autre pour un fou, ce qui ne facilite pas les relations de travail, et je sais de quoi je parle.
L’équipe avec laquelle je travaille est assez internationale : il y a deux australiens (ils disent quelque chose comme "ostrène", bless you, sans vraiment articuler quoi que ce soit), une kiwi, un maori (prononcer à peu près "moldi", ils roulent les "r"), un texan, un sud-africain, et de temps en temps un anglais. Celui que je comprends le mieux est, contre toute attente, le texan, qui est en fait, contre toute attente, quelqu’un de très cultivé, père de famille d’une quarantaine d’années, et une structure de vie avec laquelle je me sens, contre toute attente, la plus proche. Lui ne se limite pas à bouffer de la merde puis se lever à 5h du matin pour faire du djauguinne ou du fitenaisse comme c’est la loi en Australie chez les gens cultivés. Je vous ai déjà parlé de la différence entre un yaourt et un australien ?(*) Non, malgré les apparences, ça me fait très plaisir de dire du bien d’un américain, même s’il accumule les handicaps en venant en plus du Texas.
Le Kiwi, c’est l’équivalent du Frog (français), du Paddy (irlandais), du Wallaby (australien), du Springbock (sud-africain) ou du Rozbiffe (ben du rozbiffe, quoi), mais désigne le Néo-Zélandais bien sûr, quelle surprise. Pour ceux qui suivent donc, le Maori est une sous-famille du Kiwi, mais on fait quand même une différence, allez savoir pourquoi. Le politiquement correct a encore frappé avec sa discrimination positive. Enfin je dis ça, mais si vous voulez savoir ce que c’est véritablement que l’intégration des ethnies, venez en Nouvelle-Zélande, c’est impressionnant. Mais par quel miracle ??? Oh, à par du boulot pour tout le monde, je ne vois pas trop…
L’Australien bouffe ses mots comme sa Vegemite ("Proudly produced in Australia", je vois pas de quoi se vanter, vraiment) : un contact prolongé provoque maux de tête ou d’estomac. Quant à « l’anglais » parlé par les Maoris, il ne se comprend pas, il s’interprète. Je n’ai jamais été confronté à du québécois pur souche, sauf tout récemment grâce à cette excellente série que je ne saurais vous conseiller que trop vivement : Tête à claque. Décodeurs de 2ème et 3ème degrés indispensable. Bref, allez y faire un tour et vous comprendrez le sentiment que j’ai pu éprouver ici. Dans une phrase parfois un mot échappe. Dans un discours, parfois toute une phrase s’envole pour disparaître du radar de la compréhension. L’incompréhension est drôle à regarder si je prends les sourires de mes collègues comme indicateur, mais c’est quand même un poil compliqué quand il s’agit d’instructions de travail et puis je n’ai pas vocation à amuser la galerie, non mais.
Ah tiens, j’ai souvent une petite pensée pour mon beau frère quand je discute avec l’un des employés du client : il est Indien… Mais bon, on s’y fait, par courage féroce, volonté tenace... et parce qu’on n’a pas le choix. Je demande parfois à mes interlocuteurs de se répéter mais cette fois en anglais : sans être un expert de phonétique, on est super loin de la langue de Shakespeare. Je ne sais pas si on fait plus loin, d’ailleurs. On est à la frontière de l’espace ici.
Je ne peux décemment vous cacher qu’ils se demandent eux aussi des reformulations entre eux et moquent de leurs accents ou expressions respectifs.
Ben ça, moi, ça me fait doucement rigoler.
(*) Pour ceux qui débarquent ici, la différence est qu’au bout d’un moment, le yaourt a des chances de développer de la culture. C’est une blague.
<< Accueil